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"L’heure de l’Afrique a sonné et l’Afrique n’attendra pas", par Jean-Louis Borloo

L’heure de l’Afrique a sonné

et l’Afrique n’attendra pas

Par Jean-Louis BORLOO, Président



Ce continent passera en moins de 30 ans de 1 à 2 milliards d’habitants. Il connaît un choc démographique exceptionnel qui est probablement l’évènement le plus important pour une partie du monde, pour l’Europe et pour tout le bassin méditerranéen. Le choc démographique que connaît ce continent encore peu peuplé peut être notre plus grande chance, notre premier relais de croissance et notre plus grand enjeu.
La jeunesse de l’Afrique hésite entre espoir et révolte. Le consensus est maintenant clair et partagé : c’est l’accès à l’électricité qui détermine l’accès à l’eau potable, à la santé, aux communications électroniques, à l’agriculture, à la croissance et donc à la stabilité de son continent et de ses voisins. Or à ce jour, les deux tiers du continent, 600 millions d’Africaines et d’Africains n’ont pas accès à l’électricité.

L’électrification progresse, car c’est la priorité numéro un de la population mais à un rythme trop lent. L’importance de cet enjeu nécessite qu’au delà de l’actuelle et nécessaire politique d’aide au développement, un effort supplémentaire automatique, additionnel et concentré sur l’énergie soit mis en place. Il faut donc un plan Marshall pour l’accès universel à l’électricité. L’Afrique décolle enfin. C’est le moment de donner un coup de pouce là où il y a des bocages et fédérer toutes les initiatives.


D’ici 30 ans, l’Afrique devra nourrir, former, loger, guérir, employer un milliard de nouveaux habitants. À cette date, un quart des actifs de la planète seront africains. La puissance de cette démographie est un atout mais aussi un défi terrible et une course contre la montre.L’avenir de l’Afrique est aujourd’hui le facteur déterminant et l’évènement le plus important pour l’avenir de l’Europe et du monde, en termes de stabilité, de démographie, d’immigration massive non contrôlée ou de relais de croissance. Si le continent africain connaît une croissance de plus de 5 % par an, ce chiffre moyen est trompeur car cette croissance n’est pas équitablement répartie.Cette croissance est en effet chaotique car 65 % des Africains n’ont pas accès à l’électricité. L’électricité est le facteur fondamental de toute croissance, de tout équilibre du territoire. À l’exception d’une faible partie de l’Asie du Sud-Est, de l’Inde, l’accès à l’électricité est universel sauf en Afrique. C’est la grande caractéristique aujourd’hui de ce continent.


La conséquence majeure et dramatique : un exode rural massif vers une urbanisation qui dans certains cas peut se transformer en chaudrons urbains. La dynamique d’urbanisation est de 35 % par an, taux inconnu dans le monde et dans cette urbanisation, 20 % dispose d’eau potable et moins de 10% est connecté à un réseau d’eau. 50 % des Africains ont moins de 25 ans.

Cette Afrique, la population la plus jeune du monde, n’aura connu ni la colonisation ni la décolonisation et sera née avec la télévision, internet et les téléphones mobiles. Cette jeunesse est l’avenir de l’Afrique par ses effectifs et parce que les progrès d’éducation ont été réels. Cette jeunesse est une opportunité mais aussi un défi redoutable entre espoir et révolte. Elle est en quête d’identité.
L’Afrique avec la deuxième forêt du monde peut participer de manière décisive à la lutte contre le dérèglement climatique. Pourtant, faute d’énergie moderne, la forêt régresse notamment parce que le bois de chauffe représente 80 % de la consommation énergétique du continent.

Une toute petite mer sépare deux continents, 14 kilomètres de distance. L’un au Nord va perdre 100 millions d’habitants, l’autre au Sud va en gagner 1 milliard d’ici à 2040 et entre les deux rives de cette Méditerranée se trouve les inégalités les plus fortes au monde. Cet écart est facteur de tension, voire de conflits, comme le démontre l’actualité récente.

À l’inverse, la complémentarité : jeunesse, croissance démographique, fleuves, espaces, capacités agricoles, faible densité d’un côté et un continent vieillissant, dense, équipé, mature technologiquement de l’autre peuvent constituer ensemble un nouveau géant.

Au-delà de la dimension humaine évidente, l’intérêt objectif de l’Europe est de soutenir un véritable plan Marshall pour l’électrification pour tous et partout en Afrique, opérationnel, efficace, financier, rigoureux. Il faut un plan massif d’électrification de l’Afrique en 10 ans. Le continent africain aujourd’hui à 5 % de croissance connaîtra une croissance de 10 % à 15 % par an pendant 30 ans dès lors que ce programme sera complètement mis en place. Il impactera la croissance européenne de manière massive et décisive. Un rapport d’économistes chevronnés sur l’élasticité de la croissance africaine et de la croissance européenne va être publié. Il estime à ce stade que la croissance africaine pourrait impacter la croissance européenne de 2 % et 3 % c’est-à-dire le plus gros relais de croissance disponible.

Beaucoup d’initiatives sont déjà prises. L’aide au développement est une politique constante notamment des outils puissants sont en place en multilatérales ou en bilatérales. La banque mondiale, la Banque Africaine de Développement, les agences de développement comme l’AFD font un travail remarquable, des ONG, des Fondations d’entreprises, également. Il faut maintenir cet effort mais indépendamment, mettre en place un programme spécifique qui permette l’électrification de l’Afrique en dix ans.

Malgré tous les efforts actuels, la course entre la démographie et l’installation électrique est à ce jour perdue. Chaque année 10 millions d’Africains en plus n’ont pas accès à l’énergie. Malgré un taux de croissance fort, le cercle vicieux de la pauvreté n’est pas cassé bien au contraire et le risque de déstabilisation interne à l’Afrique peut être enclenché. Pour rompre cette spirale fatale, il faut s’attaquer au chaînon manquant : l’électrification.

C’est donc autour de l’énergie que se joue la croissance africaine et européenne mais aussi le risque majeur de l’afflux des réfugiés climatiques, des réfugiés de la pauvreté et des réfugiés politiques.
La seule question qui vaille aujourd’hui c’est « Est-ce possible et comment faire ? Comment passer du rêve à la réalité ? ».
Un travail approfondi a été fait par chaque pays africain comme le révèle le document établi par eux dans la préparation de Copenhague en 2009.

La volonté des dirigeants africains est totale. Mais il est nécessaire que soit mis en place un plan organisé, concerté, structuré, autonome et automatique afin de parvenir à l’objectif en 10 ans.



Des raisons objectives au sous-équipement
électrique de l’Afrique


La faiblesse de l’équipement électrique en Afrique est-elle une fatalité ? Ou connaît-elle des raisons objectives ? Celles-ci sont évidemment nombreuses et convergentes mais on peut en identifier quelques-unes de fondamentales.

L’électricité se développe par nature plus facilement voire exclusivement dans des nations anciennes structurées administrativement, bénéficiant d’une ingénierie publique et d’un financement public du moins pour le décollage et le lancement du programme principal.

Dans la plupart des pays c’est bien par l’intervention de la puissance publique, son financement direct ou indirect par prélèvement sur le consommateur que les grands programmes ont pu être menés, suivant en cela la trajectoire des pays développés, où l’électrification des campagnes s’est réalisé grâce au soutien des pouvoirs publics. La jeunesse des États d’Afrique et par voie de conséquence la faiblesse administrative et l’impossibilité de prélever sur l’épargne publique les moyens du développement expliquant cette situation. Si on laisse le seul marché fonctionner, il ne financera que des opérations extrêmement rentables donc concentrées sur des points particuliers et aggravant le risque de déséquilibre territorial. Un financement public sous forme d’investissement non remboursable au titre de l’action publique et de l’intérêt général doit être mis en place.

La deuxième raison est la faible densité sur le continent, inférieure à l’Europe d’un facteur quinze.
Si le coût de production d’énergie solaire, thermique, hydraulique, éolien, géothermie, biomasse, est et sera demain moins cher que dans beaucoup d’autres endroits de la planète, en revanche le coût de distribution d’une production centralisée est disproportionné. L’équipement dans un vrai plan très court et très opérationnel exige la mise en place d’une électricité décentralisée accessible hors réseau, ce que les nouveaux moyens technologiques permettent aujourd’hui de faire à des coûts qui ont considérablement baissé et avec une robustesse aujourd’hui beaucoup plus affirmée.

Enfin, pour réussir un tel programme il faut, comme partout dans le monde, améliorer la qualité de la régulation et du cadre juridique mais aussi mettre à disposition un niveau de compétences exceptionnelles dans un temps extrêmement court.
Un plan de formation professionnelle de maintenance et un soutien extérieur est donc indispensable.
Ces principaux points ne sont évidemment pas exhaustifs mais amènent à la conclusion évidente que ce ne sont pas des fatalités mais des raisons objectives qu’il est donc possible de surmonter.





Le plan à mettre en place

Ce plan doit être celui des pays africains qui affirment indépendamment des aides au développement déjà existantes que l’électrification de l’Afrique constitue une priorité absolue.

Tout ce qui se mesure s’améliore. On peut compter les progrès accomplis, fixer des étapes, donner des objectifs clairs. Cette volonté politique doit être pour les États africains et être affirmée au reste du monde. Elle se traduit par la mise en place d’un organisme dédié à cet objet fondé et dirigé par les États africains eux-mêmes.

Cet organisme sera exclusivement consacré à l’électrification de l’Afrique avec un compte unique et dans un mode de gouvernance consensuel que les États africains décideront. Il sera à la disposition de chaque État africain pour l’assister à la mise en place de son propre plan d’électrification accéléré. Il sera le réceptacle des financements publics internationaux indispensables à ce plan. Les fonds publics internationaux qui seront identifiés feront l’objet d’une traçabilité.

Les financements publics internationaux devront être automatiques, pérennes, additionnels et non conditionnels.

Sans cette prise de position unanime et ferme des États africains, sans la décision de créer un outil dédié, le multilatéralisme, la dispersion et la confusion entre tous les types de programmes continueront. Sans un tel organisme, la mise en place opérationnelle du financement public international sera défaillante. La preuve en a été faite car en décembre 2009 à Copenhague un financement international de 10 milliards de dollars par an dit fast start, montant à 100 milliards d’ici 2020, avait bien été décidé sans qu’aucune opération concrète n’ait pu encore voir le jour.

Une récente réunion à Berlin a bien évoqué que 6 ans plus tard un Fond Vert de 9,5 milliards de dollars allait être mis en place mais sans que celui-ci puisse être effectif. La raison principale est qu’il n’y a pas l’outil africain piloté par les africains avec un objet opérationnel parfaitement identifié. Il est à craindre que les prochaines réunions à Paris ou ailleurs ne se traduisent par de nouvelles déclarations avec des chiffres extrêmement élevés mais sans aucune concrétisation en l’absence de l’organisme qui soit le réceptacle de ces financements.

Cette agence mettra à la disposition de chaque État l’ingénierie administrative et publique nécessaire pour résoudre l’ensemble des problèmes qui se posent à chaque pays. Fondée et dirigée par les 54 États africains, elle aura la capacité politique de négocier les financements publics internationaux et notamment européens. Cette agence mutualisera tous les moyens et diffusera toutes les avancées technologiques et leur fiabilité.

L’organisme établira sous un an le programme indispensable de réparation des équipements de production, de distribution et d’interconnexion existants qui devraient permettre avec moins de deux milliards de financements publics d’augmenter la production sur le continent de 40 %.
L’agence étudiera la mise en place d’une caisse de garantie sur l’ensemble du continent afin de permettre la péréquation et le remboursement éventuel sur la base d’un retour à meilleure fortune des investissements publics.

Cette agence sera le symbole de la volonté politique inébranlable, des dirigeants africains à l’électrification du continent. Le dialogue avec les financeurs internationaux publics et privés en sera largement facilité. L’agence bénéficiera des financements de toutes les initiatives internationales telles le Fond Vert décidé il y 6 ans qui peine à se mettre en place. Elle bénéficiera également des programmes des agences nationales, de l’initiative américaine Power Africa, des grandes donations privées, de la mobilisation du crowdfunding, bref de toutes les sources de financements disponibles ou en cours de constitution.


Un programme de formation professionnelle pour la production et la maintenance sera financé en fonction des besoins de chaque pays, les pays européens fourniront si les dirigeants africains le souhaitent les cadres et formateurs adaptés. Le rôle de l’agence est exclusivement de financer des opérations présentées par les pays africains pour des énergies non fossiles et mettre à leur disposition l’ensemble des informations technologiques, partenaires (ONG, Start-up…), process et procédures, soutiens techniques et administratifs qui paraîtront opportuns.

Une banque de données des technologies performantes, une plateforme de benchmarking et d’échanges d’expériences et de collecte des meilleures pratiques ainsi que des succès et des échecs sera établie.

Les calculs effectués montrent que les investissements nécessaires sont de l’ordre de 200 milliards d’euros dont 40 de fonds publics. Ce financement pour un programme en 10 ans peut être amorti sur 30 ans, dès lors qu’il serait automatique et garanti. Cela représenterait un effort de 2 milliards par an ce qui est un montant minime au regard de l’enjeu. C’est donc essentiellement un problème de méthode et de mutualisation des moyens politiques, techniques et financiers qui est posé.

Cette proposition d’organisme africain dédié est une hypothèse. D’autres peuvent exister. Mais ce qui est certain : un outil unique d’électrification de l’Afrique doit être décidé par l’Afrique, piloté par l’Afrique, les actions opérationnelles étant ensuite gérées par les États ou les sous-régions.

Pour électrifier leurs pays, les dirigeants africains doivent pouvoir disposer de garanties additionnelles, pérennes, automatiques et non conditionnelles auxquelles s’ajouteront naturellement les financements privés.
C’est la base incontournable de tout programme d’électrification. Faute de quoi, les négociations pour financer l’adaptation et le respect du plan climat resteront théoriques.

C’est le moment d’agir, Energies pour l’Afrique fait appel à toutes les compétences, toutes les bonnes volontés pour faire de l’électrification de l’Afrique, sa priorité.




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